Je possède un Opinel n°7. Il est magnifique, d'abord parce que c'est un cadeau, ensuite parce qu'il est déjà vieux. Sa lame est noire, abîmée. Elle a été aiguisée par mon père, et ce petit couteau en est devenu un terrible objet de mort.
Le sang coule facilement quand cette jolie lame caresse une peau. Elle est froide et belle. Ce couteau pourrait bien être mon amant, s'il n'y avait quelqu'un d'autre.
Ce couteau pourrait bien m'avorter si je le désire.
Plonger sa jolie pointe dans mes entrailles, le laisser tourner, chercher dans mon utérus une vie possible. Le laisser tuer ce qu'un amour d'un soir, ce que des baisers trop passionnés ont créé.
Oui. Il est d'une beauté sans pareil, et j'aurai bien pu l'embrasser à faire saigner mes lèvres. J'aurai bien pu le laisser jouer avec ces mains uniquement. Mais j'avais besoin de plus. J'avais besoin qu'il me regarde. Parce que je ne sais pas faire de différence entre l'amour et l'amitié. J'avais besoin qu'il ouvre les yeux sur mon visage, après tout, c'est moi l'ange. J'avais envie de voir ses pupilles dilatées de plaisir, il fallait que je l'entende soupirer.
Regarde moi !
Regarde moi parce que, demain, peut être que je porterai une part de ta vie. Regarde moi, parce que sous le plaisir, sous ce besoin ardent de sentir ton sexe contre moi, j'ai oublié que nous étions fertiles. Regarde moi, parce que demain je me dégoûterai.
Je ne veux pas que tu me trouves dangereuse et laide. Moi, je veux encore de ces nuits, encore du plaisir contre toi, encore des baisers brûlants sur tes lèvres. Je veux encore que tu embrasses les miennes, je veux encore te surprendre, je veux que tu dises "Oui, ça, ça pourrait me faire craquer" encore. Je veux encore que tu me caresses, je veux encore sentir ton visage barbu dans mon cou, je veux encore que tu me regardes t’accueillir !
REGARDE MOI !
Parce que demain, je devrai te regarder dans les yeux, et peut être t'annoncer que je ne disais pas si faux.
"Putain, s'il te plait... Si tu ne mets pas de protection MAINTENANT, tu seras père à **ans, et moi à 18, je te jure !"
Peut être qu'à trop te jurer, à trop te dire de "putain" et de "Oh mon Dieu", à trop te dire que je ne voulais pas être une salope, peut être, je dis bien peut être...
Que je porte la vie ?
Mais toi, toi tu riais en disant que non, que je résisterai à l'envie, que mon corps ne serait pas plus en contact avec le tien. Mais j'étais déjà nue contre toi, et ton boxer était déjà un peu trop court.
Et si j'avais réfléchi une seconde, j'aurai su que ce genre de contact comporte toujours un risque.
Dis moi, quelle tête feras-tu, si dans dix jours je t'annonce que je porte ton enfant ? Quelle sera ta réaction. Dis moi, dis moi, est ce que tu voudras que je le garde ?
Dis moi, toi, est ce que tu sais faire la différence ?
Mais non. Je ne dirai rien. C'est moi qui vais porter toute cette histoire. C'est mon opinel qui sortira de mes entrailles cette probabilité que je préfère ignorer.
Je ne suis pas prête à être mère, et je ne suis pas capable de faire les démarches seule. Si j'ai créé une vie, si nous avons créé un enfant, égoïstes que nous sommes...
Alors je l'accompagnerai dans la mort.
Alors s'il te plait...
Regarde moi...
