Pourquoi tous les chanteurs pop se sentent obligés de modifier leur voix ? La synthèse n'est pas belle. Si j'avais un disque, moi, je donnerai ma voix toute nue, comme on offre son corps.
Mais je n'ai pas de disque, parce que je ne veux pas me vendre à la Nouvelle Star, ou à Star Academy, ou ma voix serait rabaissée.
Il parait que l'on vit de plus en plus vieux. Pourtant, à différentes périodes de ma vie, des gens de mon âge sont morts. Quand j'avais huit ans : accident de voiture pour une petite fille qui était aussi jolie que gentille. La veille de mes seize ans : accident de cirque. Tombé d'un trapèze, sur la tête. Aujourd'hui : stress pour le bac. Suicide.
Et moi, je reste la, à me dire que la vie c'est un sacré mensonge. J'écoute les préparatifs de la messe, et cela m'énerve. Les chants disent en gros "Merci, Seigneur Dieu, de l'avoir rappellé à Toi".
Mais moi je reste la, la gorge nouée, et je fume.
Les arabesques sortent de ma bouche, délicate fumée nocive. Le vent la porte dans mes yeux, alors je pleure. J'ai mal au coeur de voir mes contemporains mourir. La seule personne que j'ai vu mourir, qui n'était pas de mon âge, a succombé à une grippe. Et à l'enterrement, je ne comprenais pas que plus jamais je ne reverrais ma seule arrière grand-mère encore en vie. Parce qu'elle était déjà scellée dans un cercueil. Et comme j'étais trop petite, on ne voulait pas de moi à l'hôpital, ni au moment des derniers adieux, avant de fermer la boite de bois.
J'ai les yeux qui brûlent. Parce qu'un jour, ce sera mon tour, et je ne veux pas. Un jour, je devrais tout quitter, et je n'en ai pas la force. Mais je n'ai pas envie d'en parler.
"Tu t"enfermes dans une tour d'Ivoire. On ne pourra plus rien pour toi, si tu continues comme ça"
"Tu portes un masque, pour ne pas montrer que tu es blessée par la vie"
"On ne peut pas aider quelqu'un qui s'enferme en lui même"
Voila ce qu'on me dit, ce qu'on m'a dit. Oui. On ne peut pas m'aider, mais je ne demande plus d'aide. Je n'ai plus l'âge de pleurer quand j'ai mal. C'est comme ça.
Maintenant que je suis grande, quand j'ai mal, je blesse les autres, à grand coup de mots dans la gueule. C'est bien fait. Y a pas de raisons que je sois la seule à souffrir.
Et puis, ce n'est pas juste non plus, de porter tout ces morts qui ne m'appartiennent pas vraiment. Pas juste de devoir porter le poids du souvenir sur mes frêles épaules, quand je ne suis pas sure que l'on se souviendra de moi. Il parait que c'est comme ça : on se souvient quelques temps, et puis l'on oublie.
Comme ce doit être apaisant.
