Le printemps revient. Alors qu'il neige encore à l'Est, ici, le soleil renait. Les primevères fleurissent partout. Oui, le printemps est de retour.
Encore un printemps que Matthieu ne verra pas. Comme tant d'autres. Je devrais m'y faire, mais voila... Maintenant, j'ai presque un an de plus que lui, alors qu'il était mon ainé. Je me souviens de trop de choses, tout cela tourbillonne dans ma tête, et me bouffe doucement.
Pour oublier je valse seule, je tourne, mes cheveux volent, ma robe tourbillonne. Et c'est beau. C'est léger.
J'aime beaucoup fumer très tard la nuit, et très tôt le matin, quand l'aube est encore toute humide, que le monde se réveille alors que les humains sont endormis. J'ai beau ne dormir que quelques heures, je suis moins fatiguée qu'avant. Surement grâce aux chansons qui peuplent mon petit cerveau. Peut être aussi grâce à mes pas rendus légers par les kilomètres parcourus.
Je ne me sens pas le courage de continuer à vivre longtemps, c'est pour cela que je bois plus que de raison, que je fume comme un pompier, et que je passe mes nuits à essayer d’entrapercevoir les étoiles derrière le voile épais des nuages de printemps. Je souffle des volutes de fumée nocive, je danse en comptant 1, 2, 3... Je laisse mes épaules se balancer au rythme des chansons d'autrefois, celles que j'écoutais quand j'étais si jeune.
Un jour, il faudra bien que je meure, et je ne voudrai que ces chansons nichées dans mon coeur, loin de tout. Loin des gens. Loin de moi, même.
J'aimerai retourner dans les forêts de l'Est, j'aimerai partir loin, voyager toujours plus à l'Est et au Nord. Visiter l'Europe de l'Est, puis la Finlande, la Suède, et puis, pourquoi pas, mettre les voiles jusqu'à l'Islande. Partir vivre sans rien, juste le cheval noir de mes pensées.
Je suis mélancolique de ces choses que je n'ai pas connues. L'hiver glaçant me manque, le printemps n'est pas pour moi. Les belles choses ne devraient pas m'entourer. Je les sali bien trop. J'ai hâte de retourner dans le froid, de quitter cette triste France pour la Pologne. Placer mes pas dans ceux de mes chers ancêtres. Partir vivre sans moi, loin, si loin de tout ce que je connais.
J'aimerai devenir analphabète en quelques secondes, me retrouver dans ces pays ou l'alphabet est si diffèrent du notre. Ne plus savoir parler qu'une stupide langue internationale. Et danser sur les rythmes rapides des peuples de là-bas...
Partir vivre loin de tout ce que je suis...
